Les innommables
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Les épisodes de cette série sont présentés selon la chronologie de leur création. Pour la chronologie des éditions voir ici.
"La grossièreté, ça ne s'improvise pas."
Matricule Triple Zéro
Premier épisode de la saga des Innommables. Ecoutons le témoignage de Yann dans "Auracan":
"On a eu très vite deux séries acceptées chez Dupuis. Conrad a d'abord eu une série sur scénario de Cauvin. Ce projet ne s'est jamais concrétisé parce que Cauvin n'a jamais eu le temps. De ce fait, il lui a fourré dans les pattes Mythic, alias Smit Le Bénédicte et ils ont commencé une série à deux, Jason. Pendant ce temps là, je me suis retrouvé le bec dans l'eau avec mon dessin. C'est ainsi que Conrad m'a fourni un scénario pour ne pas que je sois trop malheureux, c'était Les Innommables. Moi, je dessinais ça joyeusement. Il repassait dessus ensuite en me disant que c'était nul. Ca m'a horripilé et au bout d'un moment, c'est plutôt lui qui a pris en main le dessin, vu qu'entretemps, l'entreprise avec Mythic n'avait rien donné (...). Il ne reste plus grand chose de mon travail. J'ai beaucoup pleuré".
"Au départ, il s'agissait des aventures de Chuck Willys, une espèce de parodie de Buck Danny. Après deux cases, on en a eu marre et hop, on l'a trucidé et on est parti avec des personnages plus sympathiques."
Conrad (dans Circus) : "L'idée est née du film Mash qui nous avait fortement impressionnés. On a eu envie de retranscrire l'esprit du film à travers la B.D. Mais les personnages se sont imposés un à un. Pour le premier épisode j'ai écrit le scénario et c'est Yann qui dessinait. En fait nous nous sommes vite aperçus qu'il était plutôt fait pour le scénario et moi pour le dessin. Donc on a travaillé simultanément sur l'un et l'autre et ce n'est qu'à partir du second tome que l'on a commencé à se spécialiser."
"J'ai récupéré le lieutenant, mais j'ai perdu mon cigare."
Shukumeï
La parution du deuxième épisode dans Spirou met immédiatement en évidence le grand talent de Conrad. Il suffit de regarder l'accident du camion et le passage de la rivière (p.4 et suivantes) pour s'en rendre compte. On se demande pourquoi Conrad a voulu redessiner certaines planches lors de la parution en album.
Conrad (dans Circus) :"Pour cet épisode j'ai redessiné une trentaine de pages. Le scénario est inchangé, nous avons préservé l'esprit qui était déjà dans Spirou mais on a rendu le récit plus clair, plus lisible."
On retrouve dans cet album l'humour anarchiste et insolent et un scénario qui part dans tout les sens
Yann (dans Circus) : "Shukumeï c'est un peu une mission à la Rrrol Flynn. Un groupe de militaires dont nos 3 héros partent dans la jungle de Bornéo à la recherche d'on ne sait quoi. Ils découvrent un avion écrasé avec quelques survivants. Puis ça tourne en eau de boudin. Tout le monde s'enfuit, qui poursuivi par les flics, qui par les jivaros, qui par les japonais."
Pour la première fois, les fonds noirs apparaissent. Egalement nouveau dans cet épisode : les ambiances orageuses et des scènes d'horreur avec des zombies japonais que Conrad réussit merveilleusement bien. C'est aussi dans cet album que le séducteur Tony se révèle être un mysogyne invétéré. Un épilogue dessiné après coup pour l'album raconte comment nos héros sont sauvés par le capitaine Mulligan et comment ils arrivent à Hong Kong.
"Je suis entré à l'armée parce que j'étais tout petit et que je voulais une grande casquette."
Cloaques (version originale)
Yann (dans les Cahiers de la BD) : "En général nous apportions d'un coup toutes les pages de l'album suivant. Une fois, on nous a refusé 60 pages, qui ne sont jamais parues. C'était le troisième épisode des Innommables, intitulé Cloaques. On y voyait des filles aux seins nus se battant au couteau dans un terrain vague. Pour Spirou, c'était quand-même un peu hard, et le vieux Charles Dupuis n'en avait pas voulu."
Le lecteur est averti dans une note à la page 2 : "cette scène de violence dans sa crudité originelle, risque de choquer les âmes sensibles. Cette histoire n'est pas à mettre entre toutes les mains..." il s'agit de Tim qui pique sa glace à une petite fille.
Cloaques est du Yann et Conrad à l'état pur. De l'humour merveilleusement débile, de la violence gratuite et surtout un incroyable goût de la destruction. La scène de l'attaque du camp rebelle est un véritable feu d'artifice graphique, une suite inouïe d'explosions, de crashs, de chocs brutaux, de rafales meurtrières, qui se termine par un lieutenant hystérique qui, s'ayant emparé d'un bulldozer, détruit tout sur son chemin. Au milieu de cet apocalyse, la vie reprend ses droits et Raoul, la truie donne naissance à huit adorables cochonnets...
L'album se conclut par quelques scènes de la vie en pleine guerre de Corée. Face aux cruautés hivernales subies par une armée en déroute, la simplicité des personnages principaux est touchante. L'histoire finit de façon brutale. La dernière planche est déroutante. De manière étonnante et forte, Yann ouvre ici une nouvelle veine. Le drame impitoyable évoqué crument au plein milieu de la dérision provoque un effet saisissant. Yann va utiliser le même procédé dans Les Libellules par exemple, mais aussi dans Bob Marone.
Incroyable! Le dessinateur publie l'intégrale des strips originaux, avec des commentaires très intéressantes, sur le web.
C'est ici.
"C'est une plaisanterie?Je n'ai tiré sur personne, Dieu m'en préserve, j'ai tiré sur un Chinois!"
Aventure en jaune
Yann (dans les Cahiers de la BD) : "La rédaction nous avait commandé un feuilleton de longueur indéterminée à paraître à raison d'une planche par semaine, et nous avait vaguement donné Le Secret de l'Espadon en exemple. Nous, on avait repris nos personnages fétiches et on s'était lancés dans une histoire compliquée dont la première partie devait se dérouler à Hong Kong et la seconde à Macao. Finalement, il a fallu abréger, et j'ai improvisé une fin en plein milieu du récit initialement prévu.
Dans le synopsis du départ, il y avait une véritable intrigue (...) Seulement, en cours de route, j'ai un peu perdu cette histoire de vue, pour me concentrer sur les rapports entre les personnages..."
Que dire de cet épisode sinon que c'est une réussite totale, qui a profondémént marqué la BD des années 80. Après la BD expérimentale, intellectuelle et adulte des années 70, Aventure en jaune est à la fois un retour aux sources de la BD franco-belge classique et un tour de force détruisant systématiquement les règles d'un genre sclérosé. Première BD post-moderne, pleine de références aux classiques de l'âge d'or, à lire au premier ou au second degré... Sans oublier l'essentiel, la rencontre de deux talents exceptionnels qui n'ont que 26 (Yann) et 22 ans (Conrad).
Pour la réédition chez Dargaud en 1996, Conrad a dessiné une dizaine de nouvelles planches. En plus, il a redessiné ou modifié le découpage de certaines planches et cases. Ces modifications, effectuées dans un souci de clarté et de lisibilité, n'apportent rien d'essentiel au récit (personnellement je dirais : au contraire).
"l'année du tigre commence en beauté...il y a eu des survivants?"
Le crane du père Zé
Disons le tout de suite : cet album très attendu n'est pas un monument comme Aventure en Jaune. Qu'importe! Pour les nombreux admirateurs de Yann et Conrad, la nouvelle association des deux lascars constitue l'événement de l'année. Le duo tient toujours la forme. Le dessin de Conrad, certes moins nerveux et plus élégant, voire un peu nonchalant de temps en temps, est toujours admirable. Les dialogues de Yann sont toujours aussi brillants et l'intrigue rebondit joyeusement...alors?
Alors, ce qu'il y a de changé, c'est tout simplement le contexte. Yann et Conrad ne sont plus les sales gosses insolents dont tout le monde se méfie. Leur public est dorénavant adulte, ils sont publiés chez un éditeur adulte. Les iconoclastes sont devenus des idoles respectées. Pour certains nostalgiques, c'est de la trahison. Pour le bédéphile sans préjugés, c'est la joie, le plaisir sans freins... et puis, la qualité de l'imprimé et des couleurs est absolument excellente.
Impossible de résumer l'histoire. Sachez seulement qu'on découvre enfin en quoi consiste la fameuse cargaison du Torquemada, que Mac pleure toujours Alix et que Tim fait sa puberté en accéléré. Comme le dit Tony :"on va bientôt voir quel est son mode de reproduction".
"Péripétie que tout ceci et vaine agitation. Sluurp."
Ching Soao
Les choses se précipitent pour Les Innommables. A peine six mois après "Le Crane", voici le sixième épisode de cette saga. Et ça barde! Des gangs de pirates se combattent à mort. Le Kuo Min Tang est toujours sur le coup.
Les Innommables croisent le chemin de Ching Soao, la femme pirate. On offre des milliers de dollars pour sa tête, mais son corps est sans prix. On dit que ses amants meurent de plaisir en elle... Cependant, cette femme trouve son maître en Tim ("avec elle, ma queue remuait tout le temps!" ) et en Tony ("elle m'a obligé à des attouchements abjects...immondes...").
"Un jésuite qui fricote avec un juif... tout ça n'est pas très catholique!"
Au Lotus Pourpre
L'album s'ouvre par un beau massacre en règle, justifié par une référence à "L'île au trésor". Yann connaît ses classiques et il le prouve! Le colonel Lychee, après avoir achevé Milou, prend du repos en citant les grands auteurs de Marcinelle ("Je dors, mais mon coeur veille!..."). Une fille du Lotus Pourpre rêve d'être violée par Buck Danny. Dans une version censurée (mais éditée par Schlirf) on voit Tintin et Haddock en policiers anglais débiter des propos racistes. Les hauts de pages ne sont pas loins.
Nos héros tombent dans les mains de la police et nous assistons à un interrogatoire délirant. En prison, nos héros prennent des airs de Dalton ("Je vais devenir fou! On doit sortir d'ici!" - "Déjà, tu crois? Tim aime beaucoup la cuisine.."). Est-ce un hasard si Yann est à cette époque sollicité pour le scénario de "Klondike" et si Conrad commence à dessiner Kid Lucky?
Pour le reste, ne manquez pas la scène ahurissante dans le temple de la grande loge et les irrésistibles jeux de mots et 'one-liners' d'un Yann en grande forme.
"Au Lotus Pourpre" n'est peut-être pas un grand classique, mais qu'est-ce qu'on se marre!
"C'est qui, le monsieur qui tue tout le monde? Tu crois qu'il est méchant?"
Alix-Noni-Tengu
L'album qui termine le cycle des aventures des Innommables à Hong Kong et à Macao, cycle qui comprend plus de 300 planches réparties sur 5 albums.
Cet album a la particularité d'exister en deux versions : une qui se termine bien et une qui se termine mal... Connaissant l'esprit corrompu des auteurs, nous supposons que la deuxième version est la seule véritable. D'ailleurs en néerlandais il n'existe que celle-là.
L'intrigue est toujours aussi complexe mais petit à petit l'histoire évolue vers une confrontation finale entre l'abominable colonel Lychee et la belle Alix. Le dernier massacre du colonel est son plus beau mais on a pris l'habitude. Nos héros courent toujours un peu après les faits mais Mac et Alix se retrouvent tout de même au milieu du brasier final.
Admettons le : il était temps que l'histoire se terminait. On ne pouvait pas continuer à trimbaler la cargaison du Torquemada entre bandes de pirates, triades, KGB chinois et Kuo Min Tang... Certaines scènes de cet album ne sont pas très convaincantes. Prenons la cérémonie macumba par exemple : Yann a fait beaucoup mieux dans Yoyo avec LeGall et on frise même l'auto-plagiat. N'importe, tous les grands ont eu des faiblesses et c'était même inévitable dans un récit de 300 pages.
"Il va y avoir du rouge et du jaune à libérer et à massacrer. On vous expliquera sur place lesquels!"
Cloaques (Version 1997)
Toujours dans un souci de clarté et de lisibilité, Yann et Conrad ont remanié fondamentalement ce récit qui n'était pas encore disponible au grand public.
Si originalement, 'Cloaques' se situe avant 'Aventure en jaune', la nouvelle version débute après le retour des Innommables de Hong Kong, puisqu'on apprend qu'Alix est morte ou brulée au dernier degré. Quant à la fille de Mac, elle semble être perdue et on n'en entend plus parler...
Les nouvelles planches ont pour fonction d'introduire le personnage de Claire, d'évoquer le climat anticommuniste et d'expliquer le passage à la guerre de Corée. Au passage on fait la connaisance du révérend Sodamosa, un pasteur dont la mère croît qu'il est flic...
"Une star, ça fait encore caca? - Et comment! Mais uniquement en technicolor, Tim..."
Poupée de Bronze
L'idée fondamentale de cet album est de reprendre le fil de "Cloaques" (histoire imaginée 17 ans plus tôt) et de renouer cet épisode, se déroulant pendant la guerre de Corée, avec les épisodes parues entretemps. On a du forcer un peu le scénario pour voir réapparaître Alix et comparé aux albums précédents il ne se passe pas beaucoup; on se concentre plutôt sur la vie affective des héros (d'où un humour parfois trop facile). Pour une opinion sur cet album, je laisse la parole au scénariste...
"en ce qui concerne notre cher album des innommables, je suggère de hâter prosaïquement la fin de l'épisode en cours (tu n'as qu à faire 8 pages avec mes trois dernières pages de découpage, en étirant la scène où les G.I.'s attendent M. Monroe, ou bien Tim qui vomit partout après avoir bu son flacon de Chanel n° 5)... En effet, je crains que les résultats de ventes de l'album précédent arrivent début septembre et ne fassent grincer les dents des wonder boys de chez Dargaud...Il serait astucieux que nous entamions le prochain album avant qu'ils décident d'arrêter la série"
ou encore:
"Hello Didier! Bonne Nouvelle! J'ai obtenu qu'on fasse encore un album des Innommables en jurant que ce serait vraiment le dernier - c'est toujours ça de pris! (Après tout tu n'as rien juré toi...) A mon avis il serait temps de songer à lancer une nouvelle série, [illisible]. J'ai déjà plein d'idées idiotes qui devraient te plaire "....
Ces deux extraits sont tirés de lettres de Yann à Conrad; il s'agit probablement de lettres bidon destinées à duper le lecteur et à agacer l'éditeur, mais ces extrait trahissent cependant la diminution de l'intérêt des auteurs pour leur série culte.
"Tu aurais pu les frapper un peu plus symboliquement pour exorciser ta colère, Mac!"
Pas-de-Mâchoire
"Pas-de-Mâchoire" commence comme un album de Donito, dans un monde féérique sous-marin. Deux planches plus loin, nous retrouvons notre trio immonde parmi d'autres ordures, sur la côte d'une île coréenne. Mac a retrouvé Alix mais celle-ci est toujours victime de l'envoûtement de "Poupée de Bronze". Cet album raconte essentiellement les tentatives de tirer Alix de sa torpeur. L'album termine le cycle coréen, qui ne compte finalement que deux tomes (la réédition de Cloacques se joue entièrement aux U.S.A.). Le scénario de ce cycle est moins embrouillé que tout le cycle chinois; cependant il est à mon avis nettement moins intéressant. En fait il ne se passe pas énormément de choses dans ces deux albums; mais surtout il y a très peu de nouveautés. Comme si Yann a surtout voulu rester fidèle à l'esprit de la série. Les scènes de tuerie, l'exorcisme, les sorcières et voyantes, les cruautés des communistes, les amours impossibles et insolites, tout ça on l'avait déjà vu dans le cycle précédent. L'album manque aussi un peu de tension dramatique à mon humble avis. La scène centrale, dans laquelle Mac affronte les démons qui hantent Alix, est certes originale, mais elle tourne un peu en rond et ne mène pas vraiment à une confrontation ultime. D'autre part, l'affrontement final entre Alix et Poupée de Bronze est traîté de façon très légère, négligemment. Simplement un meurtre de plus, on s'y habitue…
"Et maintenant, Mac? On va rechercher Alix en Chine, comme d'habitude?"
"Cannibales, cannibales...il faut se méfier des ostracismes réducteurs."
A l'Est de Roswell
Au Nord de White Sands
Au Sud-Ouest de Moscou
Impossible de résumer ce troisième cycle, toujours aussi débridé, mêlant quêtes interminables, guerre froide, faits-divers historiques et loufoques, célébrités, nazis, extraterrestres et personnages exhibant des aberrances psychiques les plus cocasses...