Avatar
"A travers mes larmes, je vis l'Inde sauvage drapée dans son mystère."
D'abord une précision : l'Avatar n'est pas un petit livre. C'est un 44 pages bien rempli, touffu même. Oeuvre importante également : Conrad, qui s'est libéré de son alter ego Yann, doit prouver ici qu'il est capable de créer à lui seul une oeuvre intéressante.
L'Avatar tranche sur tout ce que Conrad avait fait avant. Certes, il y a encore de l'humour, mais ce n'est plus la dérision continue. A la place du cynisme vient un intérêt sincère aux personnages. Le héros (car il n'y en a plus qu'un seul), Ernest, est un personnage naïf, lâche et souvent ridicule, mais finalement très proche de nous. Conrad a trouvé un moyen simple et efficace de nous faire partager les impressions et sentiments de ce personnage, à travers un monologue intérieur qui accompagne le récit.
Ce monologue, qui donne un ton très particulier à ce récit, nous fait aussi comprendre que cette aventure est aussi une aventure intérieure, sentimentale et spirituelle. Mystère ne signifie pas simplement intrigue dans l'Avatar : il s'agit de percer les secrets de certaines légendes Indiennes millénaires...de quoi rêver.
A première vue, ce petit bouquin semble être dessiné hâtivement. Pourtant, tout y est : l'exotisme, la luxure des temples indiens, l'ambiance enchanteresse des nuits orientales.... Si le trait de Conrad est toujours très nerveux, il n'en est pas moins efficace. Les limites du petit format ont obligé Conrad à une intensité, une concision qui augmentent la tension du récit.
A la fin de l'Avatar, tout est mis en place pour déclencher un grande aventure romantique, passionnante, mystique même... Hélas, Conrad n'ayant pas de chance avec ses éditeurs, la suite se laisse toujours attendre. Pourtant, 'Jatra ou la chute d'Allyor' est terminée et repose quelque part dans un tiroir de l'auteur. Espérons qu'un jour nous verrons ce deuxième tome édité.
Paru chez Bédéfil - l' Avatar (1985), avec Commenge
Il y a trois versions :
-version commune, 15x22 cm
-tirage de tête 700 ex, numeroté et signé
-version noir & blanc grand format
- La deuxième partie " Jatra - La chute d'Allyor" a été annoncée mais n'est jamais parue.
Cependant, le dessinateur a décidé de publier petit à petit les strips réalisés, ainsi que des tas de dessins inédits.
Voir (absolument) ici.
Le Piège Malais
"Parfois, lorsque le soleil se couche et que presque aussitôt, tombe la nuit tropicale, j'ai...j'ai envie de HURLER!"
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, le Piège Malais n'est pas un remake de l'Avatar. Le personnage principal est le même mais l'histoire est entièrement différente. Déjà dans l'Avatar, il y a question d'une statuette envoûtée mais ce fil n'est pas développé. Le Piège Malais reprend ce sujet pour en faire le centre de l'histoire, ou des histoires devrais-je dire, parce que cette statuette contient les âmes des anciens possesseurs décédées, qui viennent hanter le possesseur actuel, en l'occurence Ernest et Karl, pirate cruel et tragique. La menace de la statuette pèse lourdement sur les protagonistes et l'ambiance du récit en est profondément marquée. Fini les interludes comiques, les commentaires légères. L'amour souffre de la méfiance et de l'égoïsme. Les moeurs indiennes ou coloniales ne sont pas évoqués innocemment : ils révèlent le fatalisme profond et le fanatisme d'un côté, l'impuissance et l'impossibilité de s'opposer aux forces obscures de l'autre côté.
C'est cela-même le sens du piège malais : ce sentiment d'abandon, d'être emporté par des événements dépassant l'individu, qui aboutit dans une rage destructrice, l'Amok. Seule la jeune fille Kaliani aura la force et la pureté de combattre ce démon. Notons que, par cette thématique, Conrad se rapproche de l'oeuvre d'une autre Conrad, Joseph, dont le roman "Heart of Darkness" inspira le film "Apocalypse Now" . "Le Piège Malais" est certainement l'oeuvre la plus littéraire de Didier Conrad.
Si la légèreté a disparu du récit, le dessin a perdu de sa lourdeur. Libéré du carcan de la petite dimension, Conrad dessine facilement, élégamment et se défoule dans des paysages et des vues superbes.
Paru chez Dupuis dans la série Aire Libre/Vrije Vlucht
- Le Piège Malais 1 (1990)
- Le Piège Malais 2 (1990)
-L'Intégrale
Raj
En attendant de faire mon propre commentaire, voici un article emprunté à La Dernière Heure
Conrad change de style
(26/01/2007)
Avec RAJ , il crée une série à mille lieues des Innommables en se forçant à dessiner une ligne claire très réussie
BRUXELLES - Didier Conrad occupe une place à part dans le monde de la bande dessinée. En créant en 1980, avec son complice Yann, Les Innommables , le dessinateur s'est lancé dans un créneau jusqu'alors inexploité ou, en tout cas, pas avec autant de brio. Ce trio d'antihéros est véritablement devenu culte et colle à la peau de Conrad à tel point qu'il a ressenti le besoin de faire une spin-off de cette série avec Tigresse Blanche qui raconte les jeunes années d'Alix. Didier Conrad a également livré d'autres perles comme Le Piège Malais dans la collection Aire Libre chez Dupuis mais le dessinateur ne s'était jamais départi de son style école de Charleroi qui est devenu une véritable marque de fabrique.
Pourtant, aujourd'hui avec RAJ, une nouvelle série qu'il lance chez Dargaud avec sa femme au scénario, Didier Conrad s'essaie à la ligne claire. Et il le fait avec brio.
"Raj, c'est le nom donné par les Anglais à l'Empire britannique" , indique d'emblée le dessinateur qui a quitté à l'occasion de la sortie de l'album et du Festival d'Angoulême sa Californie douillette où il a trouvé refuge il y a de nombreuses années.
Le théâtre dans lequel débarque Alexander Martin, le héros, est l'Inde de 1830. "C'est un contexte historique qui m'intéresse. C'est la deuxième vague d'Anglais qui arrivent. Les premiers Anglais se sont mêlés à la population locale mais ceux-là ne veulent pas s'assimiler. C'est à partir de cette période qu'ils ont commencé à se croire supérieurs aux indigènes. Mais attention, RAJ n'est pas une critique du colonialisme" , explique le dessinateur.
C'est avant tout une bonne série d'aventures dans le plus pur style de Hergé. D'ailleurs, Conrad a dû s'adapter : "Il y a eu plusieurs moutures de la série, de l'histoire, des personnages et j'ai d'abord fait l'album dans mon style de l'école de Charleroi. Mais c'était trop humoristique et ça ne marche pas avec ce genre d'histoires. Avec la ligne claire, on va directement à l'essentiel, c'est plus simple. Enfin, c'est plus simple pour le lecteur parce que pour le dessinateur c'est autre chose. Ce premier tome m'a pris trois ans quand même alors que, d'habitude, je mets six mois pour un album".
Même si cela a été une épreuve pour Conrad, au bout du compte "changer de style, c'est agréable". Et il faut bien avouer qu'à la lecture de cet album, le plaisir est partagé. Car outre le dessin très épuré, le trait fin, les personnages déjà bien affirmés et l'histoire intrigante, la précision historique que les auteurs se sont ingéniés à distiller aux détours des planches est remarquable. Aussi bien visuellement que culturellement. Conrad et son épouse ont eu accès à la British Library et plus particulièrement un accès illimité aux collections de l'Oriental and India Office. "Tout y est recensé, condensé, expliqué, raconté, c'est une vraie mine d'or".
Une mine d'or dont les auteurs font profiter et qui permet aux lecteurs, l'érudit en histoire britannique comme le béotien, d'éprouver beaucoup de plaisir en découvrant les aventures d'Alexander Martin qui vont se dérouler en diptyque.
Conrad-Wilbur : RAJ, t. 1, Les disparus de la Ville dorée,Éd. Dargaud.
Michaël Kaibeck
© La Dernière Heure 2007
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